HISTOIRE
DES SCIENCES DANS L'INDE
Rapport sur les conférences
de l'année 1991-1992
Guy MAZARS
Programme de l'année 1991-1992 :
I. Une enquête portugaise du XVIe siècle sur la pharmacopée
indienne. - II. La science et l'irrationnel dans l'Inde ancienne.
I. Une enquête portugaise
du XVIe siècle sur la pharmacopée indienne
La commémoration des grandes découvertes
portugaises a suscité un regain d'intérêt
pour les savants du XVIe siècle dont les travaux ont contribué
à la naissance du nouvel esprit scientifique. Un des premiers
savants européens en Inde est le Portugais Garcia da Orta
qui, arrivé à Goa en 1534, restera en Inde jusqu'à
sa mort. Son livre Coloquios dos simples e drogas e cousas
mediçinais da India publié en 1563 est le fruit
d'une enquête scrupuleuse et critique sur la matière
médicale de l'Inde. C'est la rencontre des savoirs médicaux
et de la pharmacognosie européenne de la Renaissance avec
les savoirs populaires et savants de l'Inde. Après avoir
présenté l'ouvrage et son auteur, on s'est appliqué
plus longuement à l'étude de quelques chapitres
d'après la reproduction en fac-similé de l'édition
de 1891 par le comte de Ficalho (Lisboa, Imprensa nacional, 1987),
notamment ceux consacrés à l'aloès, au chanvre
indien, au camphre, au cocotier, à la cannelle, au gingembre,
aubois de santal et à quelques substances minérales
de la matière médicale indienne. En particulier
on s'est attaché à souligner la confrontation des
savoirs. En effet, ce n'est pas à un récit de voyage
ébloui par l'exotisme que nous invite Garcia da Orta mais
à la découverte des savoirs d'une autre civilisation
qui ne suscite en lui ni dérision pour ce qu'il ne comprend
pas, ni émerveillement ou fascination pour des conceptions
et des pratiques différentes.
II. La science et l'irrationnel
dans l'Inde ancienne
Dans un article publié en 1981, jean FILLIOZAT
écrivait fort justement que "les idées conçues
par l'Europe sur l'Inde semblent avoir été vouées
à l'erreur ou à l'incertitude depuis leur première
apparition". Aujourd'hui encore, pour le public occidental,
l'Inde reste une nation de contemplatifs qui aurait été
grande par ses philosophies et ses religions bien plus que par
sa science. En réalité, les plus anciens textes
sanskrits parvenus jusqu'à nous attestent une soif de rationalité,
une tendance à dégager des lois naturelles, qui
s'exprime dans de nombreux domaines. Ainsi, le système
de la médecine âyurvédique est remarquable
par son intention scientifique. Se caractérisant lui-même
comme fondé sur l'observation raisonnée, il s'oppose
à la médecine rituelle de l'époque védique.
Le traité médical de Caraka comporte d'ailleurs
un véritable enseignement de logique destiné à
guider les raisonnements du médecin. De leur côté,
mathématiciens et astronomes indiens se sont souciés
de la validité des résultats auxquels ils sont parvenus,
et ils l'ont fait avec beaucoup de rigueur à une époque
ancienne. Très tôt, savants et philosophes indiens
se sont aussi interrogés sur la réalité de
phénomènes ou de croyances jugés irrationnels
par la science moderne, en particulier ceux relatifs à
des possibilités dépassant les capacités
humaines normales. A partir d'exemples puisés dans des
textes sanskrits de différentes époques on a montré
comment leurs auteurs, confrontés à certaines de
ces croyances, ont tenté de les expliquer de façon
"rationnelle" en s'appuyant sur des conceptions savantes
du monde physique et du vivant qui sont aussi à la base
de l'Âyurveda. C'est ainsi que les textes du yoga et leurs
commentaires nous offrent un système d'interprétation
des "pouvoirs merveilleux" (télépathie,
voyance, action à distance sur des objets...) attribués
aux adeptes avancés de cette discipline. De tels textes
nous renseignent également sur les conditions psychologiques
des progrès de la science en Inde. Les discussions autour
de ces sujets nous ont aussi fourni l'occasion d'insister sur
la grande originalité et la richesse de sources indiennes
insuffisamment exploitées jusqu'ici.
Sur les douze élèves et auditeurs
inscrits quatre ont pris une part active à ces conférences
: M. Jean-Michel DELIRE (boursier ERASMUS), M. Bertrand DROUINEAU,
M. Farid JABRY et Mme LIU Shao Hua. Le Dr. Alberto CHIANTARETTO
de Turin s'est joint à l'auditoire au cours du second semestre.
Mme Chantal JUMEL a passé l'année universitaire
en Inde grâce à la bourse d'étude obtenue
pour la poursuite de ses recherches sur les techniques des arts
graphiques rituels et domestiques de l'Inde du sud. Mme Cécile
GORDONS, qui a également sollicité une bourse d'étude
pour l'année 1992-1993, est retournée en Inde en
décembre pour y approfondir ses connaissances sur les arts
martiaux indiens, en particulier les techniques manuelles en usage
dans le Kalarippayat. Inscrit également à nos conférences
mais empêché d'y assister régulièrement
en raison de ses obligations professionnelles, M. Luc SORDON nous
a tenus informés de l'avancement de ses travaux dont il
est venu présenter les résultats à la section
au mois de mai. Mlle Myriam JOBARD, qui a pu prolonger son séjour
en Inde, nous a fait part des progrès de ses recherches.
Activités et publications
du Chargé de conférences
Le 21 novembre 1991, le chargé de conférences
a animé un séminaire sur "La géopolitique
à l'aube du XXIe siècle" dans le cadre d'une
rencontre franco-allemande organisée par la Lehrstuhl für
Auslandswissenschaft de l'Université de Nuremberg et l'Institut
d'Etudes Politiques de Strasbourg (17-22 Novembre1991).- Le 31
janvier 1992, il a participé à une rencontre sur"Les
études turques et ottomanes à la croisée
des chemins. Les apports de l'interdisciplinarité"
organisée par le Département d'études turques
de l'Université des Sciences Humaines deStrasbourg. Il
y a présenté une communication sur "Les pratiques
médicales à travers l'histoire et les cultures de
la Haute-Asie".
Parallèlement, il a poursuivi ses activités de recherche
à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg.
Au cours de l'année 1991-1992, le
Chargé de conférences a publié : "Repertory,
therapeutic indications, chemical analysis and cultural background
of mineral drugs of Afghanistan", Journal of Ethnopharmacology,
33, 1991, p. 169-178 (en collaboration avecC. YOUNOS, J. MARTIN,
J. FLEURENTIN, D. NOTTER, F. MORTIER et J.-M. PELT).- Azia
no Igaku, Indo Chuugoku no dentô Igaku (en japonais:
Les médecines traditionnelles de l'Inde et de la Chine),
Tokyo, Serika Shobo, 1991, 270 p. - "Les conquêtes
médicales de la découverte de l'Amérique",
propos sur la médecine précolombienne recueillis
par M.-L. Bargues, Le Quotidien du Médecin, No 4949,
1992, p. 33. - "Les fractions dans l'Inde ancienne de la
civilisation de l'Indus à Mahâvîra (IXe siècle)",
dans Histoire de fractions, fractions d'histoire, Basel/Boston/Berlin,
Birkhäuser Verlag, 1992, p. 209-218.- "Mondes arabe,
chinois, indien : quelques points communs dans le traitement des
nombres fractionnaires", ibid., p. 263-276 (en collaboration
avec K. CHEMLA et A. DJEBBAR).
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